Aujourd'hui, le musée est fermé.

billet

Librairie

Est

Kimon Loghi 

 siècle le dix-neuvième

Tissu
En 1898, Kimon Loghi exposa « Orientala » au mouvement international de la Sécession à Munich et reçut un accueil unanime du public. L'un des artistes roumains les plus talentueux du tournant des XIXe et XXe siècles fit ainsi ses débuts. La toile du jeune peintre marqua le début d'une carrière prodigieuse. Loghi impressionna également les critiques de l'époque, qui le comparèrent rapidement à Arnold Böcklin, l'un des promoteurs du symbolisme allemand.
Kimon Loghi est né en 1873 à Serrès, en Macédoine. En 1890, il s'inscrit à l'École nationale des beaux-arts de la capitale de l'Ancien Empire, où il étudie auprès de Theodor Aman et Frederick Storck. Imprégné des valeurs de l'académisme, mais tourmenté par des questions sans réponse, Loghi part en quête de sa propre identité artistique.
En 1894, il fut admis à l'Académie royale des beaux-arts de Munich. Le milieu académique bavarois, si différent du milieu roumain, sembla le captiver totalement. Ses professeurs, les symbolistes Arnold Böcklin (1827-1901) et Franz von Stuck (1863-1928), promouvèrent les idées du nouvel art, le Jugendstil. Libérés de la rigueur de l'historicisme, les arts visuels recouraient à l'introspection, à l'univers fantastique et à la mythologie. Ses représentants les plus connus, Franz von Stuck, Wilhelm Trübner, Max Klinger, Hermann Obrist et August Endell, s'appuyèrent sur l'effet dramatique produit par l'exploration du subconscient, sous l'influence des idées freudiennes.
De retour au pays après sa riche expérience munichoise, Kimon Loghi participa à l'Exposition universelle de Paris en 1900. Fort du succès de 1898, il présenta à nouveau « Orientala » et obtint un deuxième prix amplement mérité. Un an plus tard, il fut l'un des fondateurs de la Société de la « Jeunesse Artistique ». Lors de la première exposition, inaugurée le 1er mars 1902, « Orientala » fut de nouveau exposée, pour le plus grand plaisir des chroniqueurs et des amateurs d'art. Fin connaisseur du symbolisme allemand et du Jugendstil, dont il avait appris le vocabulaire à Darmstadt, la princesse Maria fit l'acquisition de l'œuvre. Au cours des années suivantes, cinq tableaux de l'artiste, trois portraits, une scène religieuse et une scène rurale, ornèrent les intérieurs du château de Pelişor.
La toile a conservé intact son mystère d'antan. D'un simple coup d'œil, la jeune femme nous transporte vers les belles paysannes de Grigoreș, capturées dans l'idylle de leur univers rural. Le fond du tableau, aux couleurs vibrantes de rouge et d'ocre, évoque vaguement les tapis traditionnels roumains, et les vêtements, le costume folklorique. L'éclat de fraîcheur de la protagoniste, saisie de face, le regard adouci par la pénombre, trahit la profonde influence artistique du peintre national.
« Orientala » est loin d'être ce qu'il paraît. La femme du tableau, à l'identité mystérieuse et à l'allure exotique, évoque plutôt un modèle urbain. Soigneusement coiffée, les cheveux attachés en arrière, dont une mèche est sur le point de se détacher, avec un corset serré et des manches fluides, les épaules et le cou artistiquement dénudés, « Orientala » évoque plutôt une Parisienne coquette. Au cours de son voyage dans la capitale des Lumières, Kimon Loghi a certainement découvert le milieu artistique parisien, en pleine effervescence créatrice. Bien qu'il ait obstinément nié toute influence française sur son œuvre toute sa vie, Loghi ne pouvait rester détaché du symbolisme idyllique de Moreau, de sa fascination pour l'Orient et les sujets mythologiques. Il n'est pas non plus étranger aux productions préraphaélites, auxquelles « Orientala » semble typologiquement apparentée.
Mais c'est l'expérience munichoise qui marque le plus le portrait. Imprégné du symbolisme de l'œuvre d'Arnold Böcklin, de sa prédilection pour le mystère, la sentimentalité et le fatalisme, Kimon Loghi recourt dans « Orientala » à une lumière énigmatique, générant des accents dramatiques. La femme semble penchée, si bien que la moitié supérieure du portrait s'enveloppe progressivement de pénombre. L'artiste mise sur le contraste ainsi créé avec le blanc immaculé de la peau, marquant le centre d'intérêt du tableau. Les épaules rondes et jeunes, l'ossature adolescente, le cou puissant et tendu évoquent les portraits féminins de Franz von Stuck. L'artiste ne pouvait rester insensible au charme sombre de la peinture de Franz von Stuck. De plus, Loghi a conçu « Orientala » dans l'atelier de son professeur, dont il connaissait parfaitement l'œuvre.
Vu du point de vue des modèles allemands, le portrait pourrait tout aussi bien incarner le prototype féminin, vêtu d'un costume bavarois richement décoré. Ce possible respect de l'égoïsme local n'a pas échappé aux critiques munichois. Et la comparaison ne serait nullement fortuite. La magie de la peinture de Kimon Loghi réside précisément dans son ambiguïté, dans sa capacité à intégrer les courants artistiques les plus divers dans un langage stylistique original.
De son expérience étudiante à Bucarest, elle conserve les canons de l'académisme, mais l'essence du portrait demeure symboliste. Le modèle élaboré du corset, disposé en deux registres horizontaux, dans des chromatismes rouge et brun, rehaussé d'éclats métalliques, les manches fluides, ainsi que le motif serpentin du fond, renvoient au Jugendstil. Détaché du symbolisme allemand, influencé par l'impressionnisme et le naturalisme français, le Jugendstil trouve dans le personnage féminin l'un de ses sujets de prédilection. Représentée en muse, la femme a pour rôle d'induire des sentiments extrêmes chez le spectateur. Virginale ou « femme fatale », enfant innocente ou dame raffinée, elle incarne l'idéal de la féminité, transfiguré par la spiritualisation ou l'érotisme.
« Orientala » de Kimon Loghi se situe dans une zone d'ambiguïté. Trouvée au printemps de l'existence, la femme inconnue du tableau semble gênée par le soupçon de sa propre féminité. La sensualité suscitée par sa présence fragile, par le charme de sa nudité, par sa bouche entrouverte, contraste avec l'attitude réservée, la pudeur des épaules baissées, la rougeur violente du visage. Femme-enfant, « Orientala » oscille entre érotisme et innocence. L'impact de son regard profond, atténué au point d'obscurcir le clair-obscur, à la manière d'un Sérusier ou d'un Bonnard, déplace l'accent du sensoriel vers l'idée, vers le sens.
« Orientala » n'est pas seulement une belle jeune femme, mais la protagoniste d'un opéra énigmatique dans lequel elle incarne le Sphinx. Ingrat, vers la fin de sa vie, le destin distribue à l'artiste la partition impitoyable d'Œdipe : Kimon Loghi passe les dix dernières années de sa vie aveugle et isolée du monde. Après une intense activité, couronnée d'expositions personnelles, de participations aux Salons officiels et aux Salons de la « Jeunesse Artistique », elle disparaît en 1952. Elle laisse derrière elle une œuvre complexe et passionnante, aux significations profondes et inépuisables.
Macrina Oproiu
, conservateur

Partager

Autres collections

Aller au contenu principal