[stag_toggle style=”normal” title=”Détails de la pièce” state=”closed”]Portrait de la reine Mary
Philippe de Laszlo (1869-1937)
Huile/toile
Mai 1924
Inv. n° 7085[/stag_toggle]
Il y a trois ans, le quotidien londonien Le Gardien a annoncé à travers un article élogieux, la biographie tant attendue de celui qui était Philippe de Laszlo (1869–1937). Signé par Peter Duff Hart-Davies et Caroline Corbeau Parsons, il ravive la mémoire de l'un des peintres de salon les plus prolifiques du début du XXe siècle. Un catalogue complet est également inclus. raisonné, le livre reconstitue l'itinéraire artistique du précité "le peintre des reines".
L'artiste, qui allait s'arroger la plus grande clientèle royale, une position sociale florissante et une célébrité incontestable, naquit dans une famille juive modeste de Budapest. Sa vocation pour les arts en général le conduisit très tôt à devenir apprenti chez le décorateur Lehmann Mor. Avide de connaissances, il se réfugia dans la solitude de l'atelier et se tourna vers la peinture et la photographie.
Imprégné de connaissances variées, il obtint une bourse pour l'École des Arts Décoratifs de Budapest. Ce nouveau statut lui ouvrit les portes de l'atelier du peintre académique Bertalan Szekely. Ce professeur facilita ses voyages d'études à Venise et à Munich. Parallèlement, il suivit les cours de Wilhelm von Kaulbach, Jules Lefebvre et Benjamin Constant, à l'Académie Julian de Paris. La série de portraits qui le rendit célèbre commença avec le métropolite Grégoire de Bulgarie. Fort de son succès, il accepta une nouvelle commande importante du roi Ferdinand Ier de Saxe-Cobourg-Gotha (1887-1918) et de Marie-Louise de Bourbon-Parme, suivie de nombreux portraits de princes allemands et d'archiducs autrichiens. En 1900, il figura au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts de Paris avec le portrait du pape Léon XIII, et c'est à partir de ce moment que commença sa véritable consécration artistique.
La renommée grandissante le propulse au premier plan Société royale des artistes britanniques et aussi dans l'entourage de la Maison royale anglaise. Loin de le décourager, la pluie de commandes le trouve préparé : Laszlo peint avec frénésie. Sa technique sophistiquée est doublée d'une dextérité sans précédent. Il peut réaliser avec une apparente aisance les portraits les plus complexes en quelques séances seulement, ce qui le rapproche encore davantage de sa riche clientèle (on estime le nombre de ses œuvres à environ 3 000 !). En 1903, la première commande lui parvient de l'empereur François-Joseph, et en 1908, il exécute le portrait du président américain Theodore Roosevelt. Le couronnement de son œuvre intervient en 1912 par la Maison de Habsbourg, qui l'anoblit, devenant ainsi Philipp Laszlo de Lombos.
À l'occasion de la tournée européenne organisée en Suisse, en France, en Belgique et en Grande-Bretagne par la Maison royale roumaine au printemps 1924, le premier contact avec l'art du grand portraitiste fut centré sur la reine Maria. En marge du programme de la visite officielle, minutieusement organisé par le roi George V, la souveraine remarqua dans son agenda Visites du luxueux atelier du peintre, les 15, 20, 21 et 22 mai respectivement. L'engouement suscité par l'œuvre était d'autant plus grand qu'un mois plus tard, elle serait exposée à Londres. Représentée de trois quarts, drapée d'or, artistiquement portée sur les épaules, coiffée du célèbre diadème de saphirs et de diamants, portant le superbe collier Cartier autour du cou, Maria sourit discrètement au spectateur. Bien que vif, le chromatisme évite les notes stridentes et confère à l'ensemble profondeur et élégance. Le fond neutre, aux pénombres mystérieuses, intensifie, par contraste, la présence du personnage. Voici les notes de Maria, relatives au moment où l'artiste a réalisé le portrait :
,,[…] Je suis ensuite partie avec Bébé [Béatrice d'Orléans – Bourbon, la plus jeune sœur de la reine Marie] « Visiter l'atelier de Laszlo. Je n'ai jamais rien vu de plus merveilleux que ses portraits, qui sont époustouflants. Il m'a proposé de réaliser un croquis, ce que je n'allais évidemment pas refuser. Nous avons admiré toutes ses œuvres et avons passé un moment très agréable. » (15 mai 1924).
Quelques jours plus tard, le matin du 20 mai, la Reine écrivit :
Départ matinal pour l'atelier de Laszlo. […] Il travaille avec une rapidité incroyable et c'est un plaisir de le regarder peindre. Il déborde d'enthousiasme lorsqu'il commence un tableau qui le ravit, on a l'impression qu'il a envie de crier de joie et d'émotion. […] J'ai toujours voulu le contacter, car j'admire ses portraits plus que tout. Mais je devais rester assis très droit et parfaitement immobile, avec ce diadème qui, à la fin, me donnait un mal de tête qui me tourmentait toute la journée […].
Le mercredi 21 mai, la Reine a écrit :
« Cette journée a été presque entièrement consacrée à Laszlo et au portrait qu'il peint. […] Je n'ai jamais vu personne peindre comme lui de ma vie. Cela ressemble presque à de la magie. Pressé par le temps, il ne perd pas de temps à faire une esquisse au préalable, mais peint dès le début. La beauté des couleurs est parfaite et il semble se soucier de ce qu'il y a de meilleur dans une figure et de le faire ressortir avec une intensité étonnante. […] Je suis tout en or, avec le bandeau doré sur le front que je porte toujours sous mes diadèmes, mon magnifique diadème russe, avec mes longues boucles d'oreilles en perles et le pendentif en perles sur le devant comme je le portais parfois, celui recouvert d'un voile d'or sur un fond presque noir. Une harmonie dorée avec les yeux et les saphirs aux teintes bleues uniques et de cet or, mon visage rayonne d'une expressivité incroyablement intense […] ».
Le 22 mai marque les dernières retrouvailles de Maria avec l'artiste :
« […] lorsque le tableau fut terminé et hissé haut, une femme vivante apparut devant nous, vêtue d'une robe et d'un voile dorés, coiffée d'un magnifique diadème… […] J'étais fier d'avoir inspiré un tel tableau à presque 50 ans […]. Laszlo, en plus d'être un artiste extraordinaire, est aussi un amoureux de la société. C'est pourquoi, surtout en ce moment fugace de ma grande popularité, il a obtenu un succès que beaucoup recherchent et, comme le tableau ne manquera pas d'attirer l'attention, ce sera une formidable publicité. […] ».
En 1925, il peint deux portraits d'Hélène de Grèce, dont l'un est conservé à Versoix. Un an avant son départ du monde, en 1936, Laszlo est chargé de peindre trois portraits du roi Carol II, quatre de la reine Maria et deux deLe roi Michel.
En décembre dernier, la maison Cartier à Paris a inauguré au Grand Palais une grande exposition consacrée aux plus belles réalisations de la célèbre joaillerie. Fondée en 1847, elle célèbre cette année cent soixante-sept ans d'existence glorieuse et de tradition de luxe. Parmi les pièces extrêmement rares exposées, le célèbre saphir de la reine Maria, acheté par le roi Ferdinand pour l'offrir aux festivités du couronnement du 15 octobre 1922 à Alba-Iulia. Le 7 septembre 1921, Maria notait dans son journal :
,,[…] nous sommes d'abord allés chez Cartier pour récupérer le magnifique collier en saphir et diamant que Nando m'a acheté pour aller avec mon diadème. C'est un bijou unique et magnifique et la femme en moi se réjouit, car les bijoux ont toujours eu une signification particulière dans notre famille - un héritage russe !
Par son testament du 29 juin 1933, rédigé à Balchik, la reine Maria offrit au prince héritier, le roi Michel Ier, après sa mort, le célèbre bijou Cartier :
,,[…]Je lègue à mon neveu bien-aimé Mihai, voïvode d'Alba Iulia, le gros diamant qui m'a été donnéEuhordonné par le roi Ferdinand […]”
Considéré par les connaisseurs comme l'un des plus grands saphirs du monde, ce saphir sri-lankais facetté de 478 carats, serti dans un élégant serti floral orné de diamants, fut acquis par Cartier en 1913. La même année, il fut intégré à un collier de sept diamants. En 1919, Cartier isola à nouveau le saphir pour mettre en valeur sa beauté unique et l'exposa à Saint-Sébastien, en Espagne, où il attira l'attention de plusieurs têtes couronnées. Vendu par le roi Michel après son abdication, le saphir réapparut en 2003, lors d'une vente aux enchères chez Christie's à Genève, où il fut acquis pour la somme fabuleuse de 1 500 000 dollars américains !
Comme la souveraine elle-même le confesse dans son Journal, « Héritage russe » est représenté par le diadème orné de saphirs et de diamants. En 1825, le tsar Nicolas Ier offrit à sa femme, Alexandra Feodorovna, née Charlotte de Prusse, un cadeau digne d'une impératrice. Après la mort de la tsarine, le diadème fut transmis à sa belle-fille, Maria Pavlovna, née princesse de Mecklembourg-Schwerin, épouse du grand-duc Vladimir, et belle-mère de Victoria Melita, qui s'adressa à la maison Cartier pour un ajustement important. Honoré par cette commande, le célèbre joaillier français Louis Cartier se rendit personnellement à Saint-Pétersbourg.
Après la chute des Romanov, Maria Pavlovna le vendit, pour des raisons évidentes, à la reine Marie de Roumanie. En 1931, à l'occasion de son mariage avec l'archiduc Antoine de Habsbourg, la princesse Ileana reçut le célèbre diadème en cadeau, qu'elle vendit dans les années 1950 aux États-Unis pour la somme de 80 000 dollars. Aujourd'hui, par une curieuse coïncidence, le diadème est de retour à la Casa Cartier après presque un siècle.
Installé dans la salle d'honneur du château de Pelişor, le portrait Art déco de la reine Marie peint par Philippe de Laszlo vous invite à admirer à la fois la maîtrise de l'artiste qui l'a créé et la beauté des bijoux royaux.